L'approche REFLECT
L'approche REFLECT est une approche qui vise la participation de tous, en incluant les personnes les moins alphabétisées, dans la discussion, l’analyse et la prise de décision concernant des enjeux importants dans leur vie. Elle est née de la fusion entre la théorie de Paulo Freire et les techniques provenant de la MARP, qui signifie Méthode d’Action et de Recherche Participative ou Méthode Accélérée de Recherche Participative.
L'approche REFLECT est utilisée principalement dans le milieu de l’alphabétisation populaire dans de nombreux pays sur tous les continents, car elle sert bien sa vision où lire, écrire et compter n’est pas un but en soi, mais un moyen pour prendre plus de pouvoir sur sa vie et dans la société. Or, Reflect peut être et est déjà transposée dans une diversité de domaine car elle permet de traiter tout sujet qui est en lien avec le vécu des gens avec qui on travaille.
Il apparait d’ailleurs intéressant, voire ironique, de constater que le milieu de l’alphabétisation populaire ait fait appel à des techniques provenant de la Recherche d’Action Participative[1]et qu’aujourd’hui, peut-être, le milieu de la recherche s’inspirera à son tour, tel qu’on vous le propose à travers ce site, des expériences du milieu de l’alpha pop. C’est bien la preuve que les idées ne sont pas prises dans des carcans et qu’elles voyagent plus librement à travers les frontières terrestres et théoriques qu’on peut le croire!
Fleuve de vie sur l’école réalisé par une participante de La Jarnigoine
Un brin d'histoire 
Selon le Manuel de conception de Reflect , l'approche REFLECT est née en 1993 à travers un projet de recherche menée par ACTIONAID en Ouganda, au Salvador et au Bangladesh. Or, depuis, elle a connu une rapide expansion et déjà en 2012, on constatait qu’elle était utilisée par plus de 500 organisations basées dans 70 pays.[3] Évidemment, elle s’est, au départ, construite dans les pays du Sud, en Afrique, en Asie et en Amérique latine, mais elle est utilisée également aujourd’hui en Europe et en Amérique du Nord. Au Québec, c’est au début des années 2000 que les formatrices en alphabétisation populaire, à travers le RGPAQ, sont initiées à l’approche. Si on cherche à aller chercher davantage les plus vulnérables, qui de mieux placés que les pays du Sud, plus vulnérables, pour nous enseigner comment faire ?

Approche Reflect 

Matrice de classification préférentielle par La Jarnigoine pour choisir les ateliers à prioriser pour l’année suivante

L'approche REFLECT est donc une approche d’apprentissage, mais aussi de changement social. Les principaux termes qui y sont normalement accolés sont Communication et Pouvoir. Communication, parce qu’elle vise le renforcement des capacités à communiquer chez les personnes qui n’ont pas eu la chance de développer ces compétences à l’école et, par conséquent, les moins entendues dans notre société. Pouvoir, parce qu’elle vise une prise de conscience et une transformation des rapports de force inégaux dans la société. Bref, Reflect permet d’améliorer ses capacités à communiquer pour développer son pouvoir d’action.

L'approche REFLECT appelle à une démarche collective. Elle met en place des espaces démocratiques où à travers l’expression des minorités exclues et le partage de leur vécu, la prise de conscience des discours dominants, l’analyse critique de la situation, il devient possible d’agir collectivement sur cette réalité.[4]

L'approche REFLECT est un processus d’analyse et de réflexion et que sa particularité est d’offrir les conditions nécessaires à ce que toute personne, même si elle est analphabète ou dans une situation vulnérable, se sente à l’aise d’y participer. C’est à ce niveau que les outils MARP prennent toute leur importance, parce qu’ils permettent d’exposer de façon visuelle le processus en cours.
Les outils MARP 
Les outils MARP donnent une structure au processus et facilitent la création d’un espace démocratique. Il existe une très grande diversité d’outils MARP et le choix de l’outil doit se faire selon l’objectif visé par le processus. Les plus connus et utilisés chez nous, au Québec dans le milieu de l’alpha pop, sont :
  • l’arbre à problème, qui permet de faire ressortir les causes et les conséquences d’un problème pour en trouver les solutions; 
  • le fleuve de vie, qui permet de retracer des événements, l’histoire d’une personne ou d’une communauté;
  • la matrice, qui permet de classer, de comparer, de prioriser ou d’évaluer. 
Cependant, il y a aussi les diagrammes, la carte, le calendrier, etc. Il y a également les autres outils comme le théâtre, le jeu de rôles, la vidéo et la photo. Et puisque Reflect est en constante évolution, cette liste ne cesse de grandir et il est toujours possible d’inventer de nouveaux outils (Paon) qui pourront servir au mieux les besoins du groupe.

                       

Arbre sur les difficultés à lire, écrire et calculer réalisé par les participants de l’Atelier des lettres, un groupe d’alphabétisation populaire à Montréal

Les principes de base 

L’approche REFLECT comme dans toute démarche qui s’inscrit dans une approche participative, exige de prendre le temps, l’idée étant de permettre à tous, et en particulier aux personnes les moins à l’aise, de prendre la parole. Il devient difficile et contreproductif de tenir un échéancier précis. Un tel processus demande donc une grande flexibilité de la part de l’animateur et des participants.

Dans un contexte d’animation Reflect, l’animateur ou formateur est généralement appelé facilitateur, car son rôle est de faciliter l’expression individuelle, l’échange des points de vue, les expériences de vie de chacun. Le facilitateur initie le processus d’analyse en proposant des animations et des outils visuels, mais il participe également au processus en partageant ses expériences et ses points de vue, tout en prenant garde de ne pas se positionner en expert ou de jauger l’influence de ses opinions sur le groupe.

L'approche REFLECT vise la valorisation du savoir local. Le facilitateur est là pour démontrer aux participants qu’ils ont et qu’ils sont capables de développer les compétences et les connaissances afin de comprendre le monde qui les entoure et de mener des actions pour l’améliorer. Le facilitateur doit démontrer une grande ouverture, respecter les coutumes et les repères des gens. Il va laisser les gens s’exprimer, même si ce qu’ils affirment semblent erroné, imprécis ou hors sujet, avant de ramener ces éléments en discussion. Il doit aussi transmettre un esprit de recherche par la triangulation de l’information et encourager le débat.


Matrice pour analyser les problèmes rencontrés avec les messages des répondeurs de diverses compagnies et services gouvernementaux réalisée par La Jarnigoine, Action Répondeur

La symbolisation et le consensus

Comment arrivons-nous à mener une analyse collective où des gens à faible littératie peuvent participer pleinement ? C’est là où la symbolisation devient la clé. Tout comme chaque lettre de l’alphabet est un symbole sur lequel on s’est entendu, une convention, dans l’approche Reflect, les participants vont choisir et s’entendre sur des symboles qui vont représenter leurs idées. Ces symboles (dessins ou objets) vont ensuite être placés dans un outil visuel, ainsi que dans une légende où la signification de chaque symbole sera consignée par écrit. Ainsi, les participants seront en mesure de relire les outils et de suivre l’évolution de la réflexion du groupe.

Pour ce faire, le consensus est la seconde clé de l’approche Reflect. Le consensus permet de répartir le pouvoir au sein du groupe et éviter que ceux qui prennent plus la parole naturellement ou sont plus influentes monopolisent la prise de décision au détriment des plus réservés. Évidemment, ce n’est pas toujours évident, mais il faut développer l’habitude de travailler la recherche du consensus même s’il exige du temps. La précipitation qui nous amène souvent à vouloir voter entraine frustration et mécontentement, alors que la cohésion créée par le consensus donne de la force à la mobilisation et à l’action collective qui s’en suivra.
Puisque « l’innovation fait partie intégrante de Reflect, et [que notre]tâche essentielle consiste à adapter l’approche de façon créative »[5], je vous invite chaleureusement à vous l’approprier dans vos projets de recherche participative. Non seulement, elle vous permettra d’inclure tout le monde, peu importe leur niveau de littératie, dans votre démarche collective de recherche, mais l’expérience de recherche deviendra en soi un processus de transformation sociale parce qu’il permettra à des personnes, normalement exclues du domaine public, de faire entendre leurs voix.

Texte écrit par Amélie Bouchard


Image du paon utilisée par La Jarnigoine pour nommer et choisir les différents lieux où exposer les affiches des participants sur leurs contributions sociales, Action « La Fierté, ça s’affiche »

Paulo Freire : une inspiration 

L’acronyme Reflect signifie Regenerated Freirian Literacy trought Empowerment and Community Techniques, que l’on pourrait traduire par « Alphabétisation freirienne régénérée à travers des techniques de renforcement des capacités et des pouvoirs de la communauté ». Paulo Freire est un pédagogue brésilien qui, à partir des années’ 60, a développé une approche d’alphabétisation visant l’émancipation des ouvriers agricoles et, plus largement, une  transformation sociale.[2]La théorie de Paulo Freire est à la base de l’approche adoptée par la majorité des groupes d’alphabétisation populaire au Québec, du moins ceux qui sont membres du Regroupement des groupes populaires en alphabétisation du Québec (RGPAQ) comme La Jarnigoine, et partout dans le monde. Il est reconnu internationalement comme le père de l’alphabétisation conscientisante.